Andy milne

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interview andy milne - Mai 2002

LO : Andy Milne, Bonjour ! Comment ça va ?

AM : Bien, comment vas-tu Leïla ?

LO : Bien, très très bien… Nous sommes très heureux de te recevoir sur les ondes de Radio Génération 88.2…Tu jouais ces jours-ci avec ton groupe au Sunset…

C’est un jazz-club très connu à Paris, rue des Lombards, je le précise pour nos auditeurs… Les gens qui sont venus ont eu la chance de pouvoir t’entendre parce que tu viens environ une fois par an avec ce groupe. Tu étais déjà venu l’année dernière et maintenant vous commencez à avoir un vrai public à Paris, c’est très cool !

AM : Oui, c’est bien…

LO : Hier soir, il y avait une très bonne qualité d’écoute dans le public

AM : Oui, tout à fait !

LO : En fait c’est un groupe qui mélange le jazz et le rap… D’ailleurs, normalement il y a aussi un chanteur, non ?

AM : Oui, parfois il est avec nous et parfois il n’est pas là… C’est pas tellement qu’on fasse un mélange entre le rap et le jazz, en fait c’est parce que la vision de la musique aujourd’hui passe par beaucoup de jazz et de rap, de manière à trouver des façons créatives d’explorer, d’exprimer ma vie et d’exprimer l’expérience des membres du groupe. Tu vois, s’il se trouve que le chanteur qui chante dans le groupe vient du Hip-Hop, alors forcément il va apporter cette tradition au son du groupe ! Et du coup il va y avoir ce genre de mariage de plusieurs musiques, mais s’il n’est pas là, il se peut que cette partie qu’il apporte ne soit pas exprimée dans ce que l’on fait…

LO : Mais il y a un point commun entre ces deux mondes, entre le jazz et le Hip-Hop, c’est le groove, non ? C’est toujours très funk très groove, des rythmes, un truc qui fait que quand on écoute ta musique, ça donne envie de danser ! Est-ce que c’est ça pour toi, ce lien entre les deux ?

AM : C’est le lien entre plein de trucs, et quand j’écoute cet album de Wayne Shorter à l’instant, son groove me donne envie de danser aussi ! Oui, je ne sais pas si c’est conscient ou si ça t’arrives quand tu rentres dans la musique, c’est une manière d’exprimer des idées !

LO : C’est ce que tu appellerais le swing ?

AM : Oui, ça peut swinguer sans être ce qu’on appelle le swing… Oui, ça swingue, ou ça groove !

Steve Coleman

LO : Beaucoup de gens te connaissent pour avoir longtemps joué avec Steve Coleman…

AM : Qui ça ? (ironique)

LO : Steve Coleman !

AM : Oh Steve Coleman ! OK… OK… Oui je connais ce type !

LO : Quand est-ce que tu l’as rencontré ? Tu étais très jeune non ?

AM : J’étais raisonnablement jeune, oui… J’avais autour de 24 ans. Est-ce que c’est jeune ?

LO : Humm… C’est l’âge que j’ai ! Tu me trouves très jeune ?

AM : Pour rencontrer Steve Coleman ? Non ! ! !

(pause : rires)

LO : OK ! Et alors, tu as beaucoup appris avec lui ?

AM : Oui, J’ai appris plein de trucs même avant d’intégrer le groupe… D’autres trucs, par exemple, comment survivre dans le groupe avec Steve Coleman ! ! ! !

LO : Quelle est la différence avec ce que tu joues maintenant ? J’ai l’impression qu’il y a un lien très fort au niveau du rythme et de la modernité du son… Comment tu sens cette filiation à partir de Steve Coleman ? Qu’est-ce que tu as gardé et qu’est-ce que tu y as ajouté ?

AM : En fait il y a des trucs, un certain langage dans lequel tu dois plonger pour jouer sa musique… Tu ne peux pas te contenter de faire le gig, le concert ! Il faut étudier le rythme… Le rythme est super important… et tu dois travailler sur ta créativité. Je pense que quand tu oublies toutes les questions de style, tout ce qui relie à un style de musique spécifique, tu penses les choses en terme de rythme et de créativité. Ce sont les deux éléments dont tu dois être conscient pour jouer dans le groupe de Steve Coleman.

Et pour moi, c’est ce que j’ai gardé, ce désir d’exploration, de créativité, l’envie d’explorer de manière créative, de trouver des solutions musicales, personnelles ou autres… Et utiliser ça dans la musique, utiliser des variations rythmiques, des conversations rythmiques, des mélodies rythmiques à un niveau plus élevé que ce à quoi on était habitué par ailleurs. Si tu gardes ça à l’esprit, c’est ce qui va en ressortir. Et le fait de jouer avec Steve m’a permis de me familiariser avec tout ça, pour ensuite m’exprimer moi-même à travers ma musique.

Le Beau

AM : Je suis vraiment dans la recherche de ce que j’appelle le Beau.

LO : Ca fait une différence avec la Beauté ?

AM : C’est la même famille de mots, oui… Mais j’aime lui donner le nom de Beau. Je crois que Brad Meldhau a fait un disque sur la beauté de quelque chose… J’ai vu ça dans un titre sur un de ses disques, peu importe… Mais j’appelle ça le Beau, parce que le Beau c’est comme tout ce qu’on trouve beau… Ce sont les belles mélodies, les belles harmonies, de belles ambiances, j’aime tout ça. C’est là que je dois aller… Je ne peux pas jouer si c’est pour aller dans une direction qui ne soit pas celle du Beau ! Je veux aussi jouer des trucs étranges, angulaires, parfois expérimentaux, et devenir agressif, mais au bout d’un moment, j’ai besoin d’aller vers la beauté du son…

LO : Andy Milne, est-ce que pour toi le Beau a un rapport avec l’espace, la respiration ?

AM : L’espace, la respiration, c’est une sorte de qualité qui dépend de l’expressivité des mélodies, peut-être dans la simplicité des lignes, leur lyrisme vocal. C’est étudié pour être agréable, plaisant à l’oreille, un côté chantant…

LO : Oui, mais je ne dirais pas que c’est facile de chanter ta musique ! Parce que j’ai été écouter ton concert hier, et j’ai essayé de mémoriser les mélodies et tout ça, mais les rythmes sont tellement étonnants, ce n’est pas si facile à chanter !

AM : Tout n’est pas facile, mais il y avait des chansons qui représentent cet aspect-là de la musique. Par exemple Lullaby que nous avons joué au dernier set, ça c’est facile à chanter ! Tu as peut-être oublié ça… (humour)

Non, mais ce que je veux dire, c’est que dans certaines chansons, j’ai besoin d’aller dans cette direction ! Pas toute la soirée, mais si je ne vais pas dans cette voie-là, je sens qu’il me manque une partie de ce que nous faisons…

Dapp Theory

LO : Andy Milne, explique-nous pourquoi ton groupe s’appelle C.D.T. ou non, T.C.D. ?

AM : Oui, non maintenant c’est just « Dapp Theory »… Avant c’était « Cosmic Dapp Theory », et on a viré le « Cosmic », Bye bye ! Donc maintenant c’est juste « Dapp Theory », et ça fait D.T. si tu veux en abrégé !

LO : Et c’est quoi la « Dapp Theory » ?

AM : C’est très simple…

LO : Dapp, ça veut dire quoi ?

AM : Dapp… Je fais l’expérience de ça quand je fais quelque chose de positif dans le monde, et que quelque chose de positif m’arrive…

LO : C’est une sorte d’équilibre ?

AM : Oui, un équilibre de bon Karma !

LO : Ah, tu crois au karma ?

AM : Oui, je crois que c’est un principe universel que tu retrouves dans beaucoup de traditions philosophiques, dans beaucoup de religions… Tu retrouves ça dans la Bible… Ce n’est pas au sens strict, c’est juste une manière de le désigner.

LO : Et ta musique est l’expression des conséquences de cette théorie ?

AM : Je crois que j’ai envie de jouer avec des gens qui vivent leur vie de cette manière, et croient à ça, et j’espère que la musique que nous présentons aux gens peut les traverser de façon à ce qu’ils y croient aussi et le ressentent, puis en fassent l’expérience à leur tour avec l’énergie que nous transmettons sur scène…

LO : Et est-ce que c’est écrit quelque part ? (Humour)

AM : La « Dapp Theory » ? Non, je n’ai pas de manifeste ! (Rires)

LO : Ah, donc c’est simplement un manifeste musical…

Grégoire Maret

LO : Tu joues avec l’harmoniciste, Grégoire Maret… C’est vraiment très rare d’entendre de l’harmonica dans la sphère du jazz. Il n’y a peut-être que deux ou trois harmonicistes connus qui font du jazz à travers le monde, dont Grégoire Maret fait partie… Comment tu es venu à rechercher ce son-là ? Pourquoi l’as-tu choisi ?

C’est une question très populaire ! Ce n’était pas un choix conscient…

LO : C’était un ami à toi ?

AM : Non, je l’ai rencontré grâce à Sean Rickman, le batteur du groupe. On était en train d’enregistrer le dernier disque « New age of Aquarius ». On enregistrait et il m’a dit : « Oh tu devrais appeler ce type, il est vraiment génial, il tue à l"harmonica. Tu devrais peut-être l"appeler et voir s"il peut enregistrer quelques pistes… » J’ai dit : « OK » ! Donc je l’ai appelé, il connaissait ma musique, il était super content que je l’appelle ! Je lui dit : « Nous sommes en train de produire mon nouvel album, tu veux jouer dessus ? » Il m’a répondu : « Bien sûr ! ». Alors il est venu chez moi, on a échangé un peu. J’ai écrit de la musique qui me semblait correspondre à ce qu’il faisait, et puis on a enregistré tout ça !

Il ne faisait pas vraiment partie du groupe, et puis environ un an plus tard, j’avais des concerts à New York avec le groupe, et je lui ai demandé s’il voulait jouer… Il m’a dit : « Ouais carrément ! J"aimerais bien venir jouer ! » OK…. Et puis : « Et même, j"aimerais bien faire plus de concerts si tu as plus de concerts ! ! ! ! » Je lui ai répondu : « Euh… Je ne sais pas si j"ai d"autres dates pour l"instant, mais c"est cool ! ! ! ». Et puis un peu plus tard je l’ai rappelé : « Ecoute je crois que j"ai la solution pour que tu viennes faire les autres concerts avec nous… » (Grégoire) « Cool man… » ! ! ! Du coup il a joué avec nous et il a commencé à faire partie du groupe, parce que je me suis rendu compte qu’il apportait un autre esprit au groupe que j’aimais bien… Et qui a à voir avec ce que j’appelle Le Beau !

Intéractions musicales

LO : Andy Milne, est-ce que tu composes en collaboration avec les autres musiciens du groupe ?

AM : J’ai composé pratiquement toute la musique de ce groupe moi-même.

LO : Mais tu penses à…

AM : Oui je pense à ceux pour qui j’écris quand je compose le musique bien sûr !

LO : Par exemple, dans certains morceaux, il y a des changements de rythmes, quand vous changer de tempo, c’est comme si c’était pas écrit ! Vous vous regardez et…

AM : Ce n’est écrit dans le sens où ce n’est pas un arrangement, il y a des chansons avec des changements de tempo, des changements de groove où tu sens les changements parce que c’est composé comme ça, mais normalement, non… Normalement ça part d’une sorte de signal. C’est pas comme si : « OK, tout le monde est prêt ? Un, deux, trois… On y va OK ! ». Ca se passe plus comme un dialogue musical : quand moi je fais ci, toi tu fais ça ! C’est un peu comme au Basket Ball ! Il y a des endroits, ils savent que si quelqu’un se tient là à cette position sur le terrain, ils vont me passer le ballon, et puis un autre va aller là, passer le ballon ici et marquer un panier. C’est ça le jeu ! Donc il y a une réaction à chaque mouvement, si je joue d’une certaine manière, avec un certain signe, ils sont censé y répondre musicalement.

Musique, être au monde.

LO : Tu peux voir le monde à travers le prisme de la musique, c’est une manière de vivre…

AM : Oui, mais ce que je dis c’est qu’il y a tellement à apprendre en regardant ce qu’il se passe dans le monde… Et tu peux être musicien et ne te préoccuper que de ça, et oublier qu’il y a plein de choses à regarder, à apprendre et parfois à appliquer à la musique, mais simplement apprendre des gens sur terre, dans la vie…

LO : Tu veux dire que tu aimes bien passer du bon temps, partager un bon repas avec des amis ?

AM : Oh ! Ca aussi ! ! ! Mais tu vois, quand tu étudies le monde, il y a plein de choses. En surface, il y a le fait de prendre du bon temps, les plaisirs de la table et tout ça. Et puis il y a une sorte de responsabilité en tant que musicien… Tu es comme un Intercesseur au service de la Vérité !

LO : Ah, tu penses ça ? Mais tu crois qu’il n’y a qu’une Vérité ?

AM : Non ! Il y a plusieurs aspects de la Vérité… Je crois qu’il n’y a probablement qu’une Vérité, mais qu’on peut la tourner dans tous les sens. En fait ça dépend de quel côté tu la regardes ! ! ! C’est pareil pour le monde, non ? …. Il n’y a qu’un monde, mais tu peux le regarder de différents côtés !

LO : Et c’est pareil pour les « Metrics » aussi non ?

Tu peux les voir de différentes manières ! ! !… Je pensais à Monk, à sa manière de jouer… J’ai l’impression qu’il rentrait dans toutes les petites parties du temps, et que tu ne vois pas toujours… Tu aimes Thelonious Monk ?

AM : Si j’aime Thelenious Monk ? Oui, j’aime vraiment bien ce qu’il a fait.

LO : Et qui d’autre ?

AM : Dans les pianistes ?

LO : Oui, parmi les pianistes et les musiciens en général…

AM : Parlons des pianistes ! Il y a une grande liste… Art Tatum est en haut de la liste ! Oscar Peterson était au top de ma liste quand j’était plus jeune, et je dois l’inclure aujourd’hui, c’est sûr ! Et, bon, Herbie, Herbie Hancock, Herbie Nichols… Bill Evans, Geri Allen, Randy Weston… Joanne Brackeen… Mulgrew Miller…

LO : Ceux-là sont plus jeunes, plus contemporains…

AM : Oui, plus jeunes qu’Art Tatum ! Bud Powell, Monk sont d’un autre âge, c’est sûr ! ! !

LO : Hé bien, Andy, merci beaucoup d’être venu nous parler de musique, et de ta musique, on espère te revoir la prochaine fois que tu viens à Paris.

AM : Le plaisir est pour moi ! ! ! !

Discographie :

Andy Milne : Cosmic Dapp Theory

Steve Coleman & the Five Elements, Genesis & the Opening of the way, disc 2