damian nueva

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Interview damian nueva - cuba - aout 2002

Bonjour Damian !

Bonjour Leïla !

Tu t’appelles Damian NUEVA, c’est ça ?

Damian Francisco Nueva Cortes !

Ah oui, c’est plus long ! ! ! Francisco ?

C’est mon deuxième prénom !

Ah OK ! Bon, tu es bassiste de jazz, de musique cubaine, de musique hispanisante…

Avant tout, je pense que je suis un musicien qui aime jouer un peu de tout, mais ce qui me plait le plus c’est le jazz et le jazz afrocubain… C’est ce que je veux faire et qui m’attire le plus.

Comment as-tu commencé à jouer de la musique ?

La musique m’est venue très tôt grâce à ma famille. Dans ma famille il doit y avoir à peu près huit musiciens, et derrière moi il y a trois quatre générations de musiciens. Dans la maison de ma grand-mère, depuis tout petit, j’ai participé à beaucoup de fêtes de tambours, des fêtes religieuses, yoruba… Donc depuis tout petit, j’ai été mêlé à tout ce monde-là : de la musique, des chants afrocubains, de la musique religieuse… C’est de là que ça m’est venu ! ! !

Au départ tu voulais être percussioniste, non ?

J’ai étudié les percussions quand j’avais 7/8 ans… J’ai appris à jouer des congas, les rythmes afrocubains, le Mozambiqué, le Chachacha, le wawonco, un peu de batas que m’ont enseignés mes oncles percussionistes. Et bon, jusqu’à ce jour où j’étais chez mon autre cousin, pianiste…

Roberto Fonseca ?

Oui, Roberto Fonseca ! Je regardais une vidéo d’un bassiste, un musicien fantastique, très très bon…

Comment il s’appelait ?

Jaco Pastorius ! ! Et à cet instant-là, j’étais tout gamin, je lui ai demandé : « Mais qu"est-ce que c"est cet instrument ? » Il m’a dit : « C"est une basse ! ». « Une basse ? Non, impossible ! C"est impossible que ce soit aussi virtuose ! »… Et voilà, depuis ce jour-là, j’ai laissé les percus de côté et je me suis mis à la basse électrique ! ! !

Jazz

Et le jazz, comment ça t’est venu ? C’était Jaco Pastorius, la première fois ?

Oui bon, le jazz, sincèrement, j’ai commencé à l’écouter avec Weather Report !

Oui ! ! C’est pas vraiment un chemin normal pour commencer !

Oui, j’ai fait ça complèrement à l’envers ! J’écoutais seulement Weather Report  et Yellow Jackets j’adorais cette musique-là, et je ne pouvais rien écouter d’autre ! ! ! Je ne pouvais pas écouter de jazz traditionnel, de swing : Rien que Weather Report ! Parce que c’était Jaco Pastorius à la basse…

Et tu as appris à jouer de la basse dans une école de musique ?

Oui, j’ai étudié la basse pendant 4 ans à l’Ecole Nationale de musique…

La ENA ?

Oui…

A quel âge as-tu commencé ?

J’y suis allé de 16 à 19 ans …

Oui, enfin de 15 à 19, non ? Sinon, ça fait pas 4 ans !

Oui, oui ! De 15 à 19 ! ! !

Mais ici, à Cuba, on peut commencer à étudier la musique de manière professionnelle dès l’âge de 15 ans ?

Bon, ici, tu peux commencer à jouer de la musique dès l’âge de 8 ans, il y a toujours des opportunités qui se présentent. Si tu as de bonnes dispositions, tu peux jouer. Le problème, c’est que l’âge officiel c’est 17 ans…

Pour travailler en tant que musicien ?

Pour travailler ! C’est à partir de 17 ans.

Bon, j’ai commencé à jouer à partir de l’âge de 13 ans dans des groupes…

Des percussions ?

Non, non, je n’ai jamais joué des percus, j’ai toujours joué de la basse. Les percus c’était chez moi, pendant les fêtes…

Quand tu avais 13 ans, tu jouais de la basse ?

Oui, un petit peu ! Mais j’aimais aussi beaucoup la peinture !

La peinture ?

Oui, la peinture !

Enfin bon, ça c’est une autre histoire ! ! !

Latin Jazz

Ici on n’apprend pas le jazz à l’école ?

Non, non, non… Ici les gens étudient le jazz chez eux, en écoutant les disques et en allant à des concerts de jazz, il n’y a pas d’école de jazz…

Et on peut aussi apprendre des aînés qui savent comment ça se joue. Par exemple dans ta famille il y a beaucoup de musiciens…

Oui, moi j’ai eu la chance énorme d’avoir de bons musiciens dans ma famille, et ce sont avec mes cousins que j’ai le plus appris, parce que mes oncles voyagent beaucoup et ne sont pas beaucoup à la maison. Ils m’ont appris plus ou moins comment improviser, comment accompagner dans tel ou tel style, les phrases caractéristiques, les trucs qu’on joue dans chaque genre de musique.

Et toi, dans ta manière de jouer le jazz, quelle influence as-tu de la musique cubaine, par rapport à ce que tu joues aujourd’hui ? Comment se fait la fusion des genres ?

Bon, j’ai toujours considéré la musique comme si c’était une religion, je ne vois pas ça comme si c’était pour me divertir, ou me décontracter…

Je vois la musique comme une religion, un truc yoruba, quelque chose de sacré.

C’est de là que tout vient, et principalement le rythme. C’est ce qui m’incite le plus à écrire, à composer ou arranger. Il faut toujours du rythme pour tout ! Toujours, toujours, toujours ! ! !

Mais il y a une forte tradition cubaine en ce qui concerne le latin jazz, non ? Chucho Valdes, Gonzalo Rubalcaba…

Oui, oui, il y a beaucoup de styles qu’on peut appeler jazz latin… Moi, je suis jeune, je ne peux pas beaucoup en parler… Mais bon, pour ce qui est des bassistes, on a Cachao, Jorge Reyes, Carlos del Puerto et vraiment d’aujourd’hui : Feliciano Arango, le bassiste qui joue dans N. G. la Banda… Ce sont des bassistes que j’écoute depuis que je suis petit. Et pour le jazz instrumental, il y a beaucoup de pianistes qui ont leur propre style dans le genre du latin jazz afrocubain… Par exemple, mais qui ne vit plus aujourd’hui, Emiliano Salvador, avec son style… Bon, Perruchin aussi a son style.

Celui qu’on écoute à l’instant !

Chucho Valdes a son style… Rubalcaba, Gonzalo Rubalca… Roberto Fonseca a son style ! Ernan Lopez-Nussa aussi : il y a une grande diversité de musiciens ! Ce n’est pas un jazz univoque, que tout le monde jouerait de la même manière. Il y a des modèles, des scèmas qui viennent de la musique cubaine, mais chacun a son style !

Cuba, musique et politique

Et ici, il y a une partition nette entre la musique américaine et la musique traditionnelle cubaine ? Est-ce qu’on les considère différemment pour des raisons politiques ou sociales ?

Sincèrement, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de problèmes politiques en ce qui concerne la musique, on fait toujours la différence entre le jazz américain et le jazz cubain. Ce qui se passe, c’est que à Cuba, il y a beaucoup de rythmes afrocubains, latins, et on y introduit beaucoup d’harmonies, de progressions, de phrases qui viennent du jazz. C’est ça la fusion, de rythmes afrocubains et de ces mélodies, dans la forme afrocubaine.

Mais quand tu dis à quelqu’un dans la rue que tu joues du jazz, ça fait pas un peu bizarre ?

Les gens dans la rue ? Euh, ici il n’y a pas de concert de jazz à la manière américaine. Je pense que le jazz ne se réduit pas seulement à ça. Le jazz c’est tout ce qui s’improvise, tout ce qui a un caractère d’exposition, avec une partie improvisée puis le retour du thème.

Mais le « son » se passe comme ça aussi, avec l’improvisation du chanteur.

Oui exactement, mais bon, quand on parle de jazz, de latin jazz, c’est plus instrumental.

Oui, oui ! ! ! Bon, pour terminer cette partie de l’interview, dis-moi quels musiciens américains te plaisent en jazz… Après Jaco Pastorius, et Weather Report ! ! !

J’aime beaucoup, dans les bassistes, j’aime beaucoup Gary Peacock, Stanley Clarke, Eddie Gomez, John Patitucci, qui d’autre ? Ron Carter ! Il y a beaucoup de bassistes que j’aime bien…

Et ça se trouve facilement cette musique ici ? Les disques des musiciens que tu viens de citer ?

Bon, ici à Cuba, c’est très difficile de trouver ça. Ca ne se vend pas dans les magasins de musique. Cette musique-là, tu dois la trouver en passant par les amis, par les gens qui voyagent dans d’autres pays et qui ramènent de la musique … parce que ça ne se vend pas comme la musique cubaine ici.

Et on ne peut pas en écouter à la radio, non plus ?

Si, si, il y a une émission de radio où il y a beaucoup de jazz…

Tous les jours ?

Euh, je ne sais pas, je ne suis pas vraiment au courant… Mais il n’y a pas beaucoup de jazz à Cuba, avec de la promotion, de la publicité… C’est un milieu assez fermé.

Africando

Bon, maintenant, on va parler de ton groupe qui s ‘appelle « Africando ».

« Africando », c’est une forme d’expression, un besion que nous avons tous à l’intérieur de ce groupe de jouer une musique qui corresponde à ce qu’attendent les jeunes d’aujourd’hui. Et donc Africando, comme l’indique le nom, ça veut dire « remplir tout l"espace d"Afrique » mais à la manière cubaine, parce qu’on n’est pas complètement africains… On vient d’Afrique, d’Espagne, de plein d’endroits…

Oui, il y a beaucoup de racines.

Oui, donc on voit le jazz à notre manière, un peu africanisée ! Et donc la filiation que nous avons, c’est la musique afro, le latin jazz…

Mais quand tu dis afro, tu te réfères à quelle musique ?

A la musique religieuse yoruba.

Mais d’ici… ?

Oui d’ici bien sûr.

Ce n’est pas la musique africaine des gens qui vivent en Afrique aujourd’hui !

Non, non, je me réfère à la musique yoruba, et donc le latin jazz, c’est le mélange que beaucoup font de la salsa avec le jazz…

Et comment a commencé le groupe ?

Bon, bon ! Cest une histoire un peu compliquée ! J’ai toujours eu ce groupe dans la tête… Mais à Cuba, les choses sont très compliquées. Mais j’ai eu la chance que le batteur et le pianiste du groupe sont les fils du batteur qui joue dans le groupe de mon cousin : « Temperamento ». Et donc ils m’ont appelé une fois…

Le batteur s’appelle Ruy Lopez-Nussa…

Oui, et le pianiste c’est Harold Lopez-Nussa ! Et ce sont les fils du batteur Ruy Lopez-Nussa ! Et donc, ils m’ont appelé pour accompagner une chanteuse de Pop, qui s’appelle Sue-Hélène Milanès…

La fille de …

Oui la fille de Pablo Milanès !

Et il y avait aussi Mauricio, un très bon percussioniste… Et bon, on s’est connu à travers ce groupe. Et puis j’en ai profité pour leur demander s’ils avaient envie de jouer un peu de jazz et tout et tout, et ils m’ont répondu : « Oui, oui, on aimerait beaucoup ! ». Et chacun pouvait apporter son idée… Mais la plupart des thèmes qu’on joue sont des morceaux que j’ai apporté. Et eux m’aident, me disent des trucs : « regarde ici, on va faire comme ça, et là, et là…., je crois qu"ici… »

La composition

Comment tu trouves le temps pour composer de la musique ?

Bon, le moment meilleur pour écrire de la musique, c’est quand je reste chez moi, en train d’étudier… Mais les moments où j’ai un peu de temps, c’est à l’arrêt du bus, quand j’attend la « wawa »… (Rires) Quand je marche sur la 23ème , où n’importe où dans la ville… C’est quand je me retrouve tout seul que je peux écrire. Quand il y a des amis autour, je ne peux pas écrire…

Et avec ce groupe, si j’ai bien compris, la première fois que vous vous êtes produits vraiment, comme ça, c’était au théâtre Amadeo, avec moi, le dernière fois, non ?

Bon, pour un concert-concert, c’était avec toi à l’Amadeo, mais bon…

Pour un groupe de jazz, comment vous faites pour trouver du travail ?

Ah, c’est très très très très difficile ! Je crois que la musique la plus difficile à promouvoir ici à Cuba, c’est le jazz ! Parce que ça représenter un marché vraiment minuscule… Ici, à Cuba, on ne peut pas vivre du jazz, c’est très difficile. Il faut trouver des répétitions, des groupes, dans d’autres styles de musique, pour assurer la vie quotidienne…

Oui, parce qu’il y a seulement deux clubs de jazz, et on peut même dire un seul ! C’est la Zorra y el Cuervo, où les gens…

Ecoutent le musique !

Il y a aussi le Jazz Café où tu joues avec la chanteuse, Sue Hélène Milanès…

Oui, sincèrement, le club de jazz que je préfère, c’est la Zorra y el Cuervo, c’est là sur la 23ème…

Sur la Rampa !

Oui, la Rampa ! C’est un endroit assez petit, mais très agréable… C’est un bel endroit. Le Jazz Café est plus touristique, et les gens vont là-bas pour s’amuser,…

Pour manger, boire des verres…

Pour boire et regarder la belle vue sur la mer, et tout ça… Ils ne s’intéressent pas à la musique !

Mais toi, qu’est-ce que tu veux faire avec ton groupe Africanco, aujourd’hui ?

J’aimerais que Africando soit connu à travers tous les festivals du monde, j’aimerais avant tout faire une musique nouvelle, avoir musicalement un style complètement nouveau, c’est ce vers quoi je vais… Mais c’est pas encore…

Quel âge as-tu ?

J’ai 19 ans.

Ha… Bon, pour faire une musique complètement nouvelle à ton âge… Il faut connaître un peu ce qui s’est passé avant non ?

Si bien sûr ! J’écoute tous les types de musique, Pop, Rap, R’n B, Bomba, Wawanco, Guaracha, Son, Troba. J’écoute de tout. C’est pour ça, que je suis toujours en train d’introduire de tout dans mon répertoire, de tous les types de musique… Je mélange tout, je mélange plein de choses. Mais la ligne conductrice reste toujours afrocubaine.

Bon, merci beaucoup pour toutes ces informations !

Merci à toi

J’espère te voir, par exemple la prochaine fois que tu viens avec ton groupe à Paris, ou ailleurs… Et maintenant on va écouter ta musique !

Merci beaucoup de m’avoir interviewé, c’était un plaisir.

Mais c’était le plaisir de Générations !